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01/06/2001
Surveiller et punir
ou l'horreur est humaine


Par Vincent Charbonnier
Chargé d'enseignement en Informatique et technologies de l'information, département de Sciences de l'éducation & Sociologie-Université de Nantes
Doctorant en Philosophie


Le malaise à propos de l'émission "Loft Story" peut se comprendre par le fait que, au fond, cette émission, est le miroir même pas déformé de bien des aspects de notre société contemporaine, soit :
- l'appât du gain, l'odeur de l'argent, pour les producteurs autant que pour les candidats ;
- la lutte pour la (sur)vie dans le "Loft" bien sûr ;
- le fantasme ou l'illusion de la transparence, ce mauvais réalisme qui est bien plutôt un naturalisme. Tout voir, tout entendre et donc tout comprendre, comme si cela faisait un continuum.

Cette dernière idée est très précisément celle que M. Foucault a déconstruit dans son ouvrage sur la Prison "Surveiller et punir" (Paris : Gallimard, 1975). "Loft Story" c'est un panoptisme moderne, ajusté aux circonstances, mais un panoptisme qui charrie son lot de certitudes et de confusions, augmenté d'un sadisme outrancier. Panoptisme illusoire en ce que les 26 caméras et les 50 micros, dépassent largement notre vision, binoculaire, et notre ouïe, jamais plus de deux oreilles à la fois. Bref, même si le direct était intégral, sans filtre de la part de la rédaction -ce qui n'est en l'occurence pas le cas, il nous serait ontologiquement impossible de tout voir en même temps, sauf à supposer que tous soit dans le même lieu et dans le même champ de vision et encore. Bref, on nous promet une visibilité intégrale qui fonctionne en fait, plus simplement, à la saturation, à l'excès.
C'est en cela aussi d'ailleurs que "Loft Story" est un piège, comme l'a remarqué D. Schneidermann dans l'émission "Arrêt sur images" sur la Cinquième ce dimanche 13 mai. La meilleure illustration en fut d'ailleurs fournie par Alain Rémond qui validait l'illusion procurée par le dispositif de l'émission, en ne cessant de s'appuyer sur ce qui avait été enregistré d'une confidence d'une des candidates qui voulait partir, pour l'opposer à la version officielle de M6.
Mais le panoptisme a une autre conséquence, beaucoup moins illusoire cette fois, et véritablement perverse, qui est, au fond, celle de l'intériorisation de la surveillance de chacun des lofteurs par eux-mêmes, et la nécéssité aussi de punir, plus institutionnellement fournie celle là, par le confessionnal cette fois où sont "nominés" ceux qui vont être banni de la lumière médiatique du Loft. Ils deviennent ainsi les agents de leur propre asservissement et de ceux réputés être leur amis.
Il est quand même difficile de ne pas voir dans cette parabole, la morale actuelle de l'actuel système économique capitaliste/libéral et le fait que même les valeurs ont un prix, ainsi que l'indignation hypocrite et circonstancielle d'un Patrick Le Lay dans une tribune du journal "Le Monde". Même les valeurs "éthiques & morales" ont une bourse et des cotations. Aujourd'hui c'est l'indignation qui a la côte.
Décidément, l'horreur est humaine et persévérer est diabolique.





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