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22/05/2001
Loft Story n'est qu'un divertissement

Par Alain Crépeau
un internaute


Je voudrais faire part de ma réaction face aux remous incroyables qui agitent la presse, les médias en général et la population toute entière devant Loft Story et apporter ma modeste contribution au débat. Ce qui me pousse à réagir, c'est la faiblesse des arguments des détracteurs de LS et les bases du débat.

1- Les arguments ne tiennent pas debout. Les médias n'ont-ils rien d'autre à nous dire que répéter les mêmes lieux communs, moralement normalisateurs, mal argumentés et qui passent à côté des enjeux que je perçois comme réellement importants ?

Par exemple : la comparaison avec des rats de laboratoire. Je souhaite rappeler que ces derniers n'ont pas choisi d'être victimes d'expérimentations - sadiques qui plus est -. Au contraire des habitants du Loft. La comparaison est insultante pour les habitants du Loft et totalement inappropriée.

De même les appels à la «libération des esclaves du Loft» : en vertu de quel droit peut-on vouloir imposer à des adultes consentants (le plus jeune n'a que 20 ans, certes, mais la moyenne d'âge frôle 25 ans tout de même) de se priver de l'expérience qu'ils ont désirée, pour laquelle ils se sont battus dans des concours de sélection plus sélectifs que les grandes écoles - sur des critères différents, certes - et qui constitue, pour eux, un formidable tremplin vers une carrière à la télévision ? Envisagerait-on de réclamer la fermeture de l'ENA et la libération de ses étudiants sous prétexte que cela ne correspond pas à l'idéologie de certains hurleurs ? La comparaison est extrême, mais le principe est le même.

Autre exemple : l'atteinte à la vie privée des habitants du Loft. Je rappelle, d'une part qu'ils ne sont pas venus là pour avoir une vie privée - ils savent où et combien de caméras sont placées - et d'autre part qu'ils sont complètement en-dehors de leur environnement psychologiquement constituant - habitat, famille, amis, structure sociale, activités... - et qu'ils ne peuvent, en conséquence, se comporter comme dans leur vie privée. Ce que M6 nous donne à voir, ce n'est pas l'intrusion dans l'intimité de quelques-uns : c'est une mise en scène - je ne parle pas du débat : est-ce scénarisé ou non - avec des acteurs amateurs qui sont là pour jouer un rôle : une image d'eux-mêmes. Mais ce n'est pas exactement eux-mêmes. Toute la différence est là. Là où il y aurait violation de la vie privée, ce serait d'installer des caméras dans la maison d'une famille, à la limite même à leur insu, pour diffuser des images non montées de leur vie quotidienne. Deux problèmes se poseraient alors : d'une part, on s'ennuierait à mourir, ne serait-ce que pendant que les parents sont au travail, les étudiants à l'école et les chats en train de roupiller, et d'autre part on sauterait à pieds joints dans l'intrusion dans la vie privée, punissable par la loi. Dès lors qu'il s'agit d'une émission de télévision, avec des figurants ou des acteurs amateurs consentants, dans un décor, sur un plateau, avec des règles dites «du jeu», on n'est plus dans la vraie vie ! Comment les médias ont-ils pu oublier cela ?

Autre argument, la fustigation de la Télé Poubelle : cela m'atterre. Les critiques qui se permettent ce jugement ont-ils regardé TF1 récemment ? Ont-ils regardé la Roue de la Fortune il y a dix ans ? Qui veut gagner des millions il y a 1 an ? Les dessins animés du matin hier matin ? Ont-ils prêté attention aux manipulations d'interviews odieuses de PPDA ? Et aux faux reportages de la même équipe - toujours en place soit dit en passant. Il y en a pour France 2 aussi, avec les manipulations de témoins de Mireille Dumas, les acteurs faux-témoins de «C'est mon choix», etc. Et ce n'est pas de la télé poubelle, ça ? Il faudrait savoir garder une certaine mesure et réfléchir avant de hurler avec les loups.

Enfin, la dimension sociale de l'événement : en aucune façon on ne peut prétendre représenter la société française avec une tranche d'âge, de CSP et de milieu aussi faible et ciblée. Dès lors, la leçon de société que certains voudraient voir pour mieux la fustiger ne tient plus debout. LS n'a pas pour ambition de proposer un débat de fond sur la société française ; encore une fois, c'est un divertissement, avec des candidats qui ont été sélectionnés - comme pour tous les jeux télévisés, personne ne s'en offusquait jusqu'à présent - pour leurs aptitudes psychologiques à animer un groupe et une émission, leurs aptitudes physiques, et tout un tas de critères à la discrétion des producteurs. Il ne nous appartient pas de juger ces critères - les connaissons-nous, d'ailleurs - car ils ne rentrent pas dans le cadre du Code du travail ; la preuve : on leur a demandé d'être hétérosexuels, célibataires sans enfant, séronégatifs et exhibitionnistes.

En conclusion, je pense que le débat intermédias rate complètement sa cible : il vaut mieux s'interroger sur le phénomène social inédit - même la Coupe du Monde à laquelle il a été comparé est battu - que sur la valeur sociale de l'émission, et remettre à sa place les éléments de comparaison froidement et intelligemment. On peut se demander, devant ce énième débat national, quel est le rôle des journalistes et des chroniqueurs dans la société. Ne sont-ils pas là pour informer, de la façon la plus neutre possible, puis apporter un éclairage, une interprétation, lancer le débat, le triturer, chercher à avancer et faire avancer le lecteur-auditeur dans sa réflexion afin de lui fournir toute la matière nécessaire pour se constituer une opinion ? Et que voit-on ? Comme d'habitude : des débats mi-cuits, des prises de position outrées - et bien sûr tout le monde contre Loft Story ! Dans le brouhaha général, bien opiniâtres les voix qui tentent de faire entendre un son de cloche différent, et une fois de plus le troupeau bêle dans le même élan pour la préservation des mêmes principes qu'ils bafouaient la semaine dernière. Triste spectacle, non pas sur M6 ou TPS, mais à la radio, à la TV - voyez la piteuse tentative de MM. Schneiderman et Rémond sur Arte dimanche dernier - dans la presse ou sur Internet. Tout le monde est contre, mais personne n'arrive à expliquer pourquoi avec des arguments irréfutables. Même les psychologues contre s'emmêlent les pinceaux et se font démonter.

2- Big Brother n'est pas forcément où l'on croit. Je trouve que les réactions qui visent à faire arrêter purement et simplement l'émission sont de nature fondamentalement dictatoriales, ou totalitaires au choix : Big Brother est parmi les manifestants de la bonne pensée unique moralement correcte, vitupérant les événements qui les choquent ou les dérangent. En quoi ce divertissement télévisuel peut-il déclencher des réactions aussi violentes : les images sont savamment montées pour ne déranger personne, il n'y a ni sexe explicite, ni violence, pas même verbale - revoyez «Hélène et les Garçons», c'est carrément plus hard ! - les bons sentiments règnent en maître et la morale chrétienne n'est pas remise en cause, que je sache. Je me méfierais bien plus de ceux qui veulent imposer à tous leur propre façon de voir les choses, leurs propres principes moraux, et au final, leur propre comportement, personnalité, etc. Ce sont les mêmes qui militeront contre l'avortement, pour parquer les séropositifs et punir les usagers de drogues ; ce sont les mêmes qui cacheront, sous les sacro-saints sceaux de la liberté individuelle et de la protection de la vie privée les maltraitances infligées à leur propres enfants ou les abus sur les esclaves - au sens terriblement originel du terme - qui entretiennent leurs villas de l'ouest parisien, qui protègeront les abus du capitalisme sauvage sous la bannière de la libre-entreprise et da la saine concurrence, et qui détruiraient un Martien plutôt que d'essayer de le découvrir ! C'est Big Brother, c'est l'Eglise version Moyen-Age, c'est la remise en cause de tous les acquis de la Révolution et de la Démocratie, c'est contraire au droit de parole, d'image, au droit d'être différent et à la pluralité qui a toujours été le creuset progressiste et créatif de l'humanité.

3 - une dernière chose : je m'intéresse à LS, un peu plus que la moyenne peut-être, mais je garde un oeil extrêmement critique sur les motivations de M6, les méthodes des producteurs, le principe même de cette émission. Je ne la défendrai pas devant un jugement, parce que je pense qu'elle n'apporte rien à la qualité de la télévision. Il vaut mieux un bon vieux «Fort Boyard» - que je ne regarde pas, cela m'ennuie - ou un reportage d'investigation sur la société que ce spectacle. Mais je ne lui jetterai pas la pierre. Cela reste un divertissement, et il faut bien garder cela en tête.

Ma prose est un peu longue, je le regrette, mais je tenais à exprimer mon sentiment sur ce phénomène parallèle qui secoue les médias et qui m'attriste, comme toute étroitesse d'esprit.





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